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Photo du rédacteurOmbeline Choupin

Interview de David Suire, directeur d'exploitation du Château Laroque

David Suire est le directeur d’exploitation du Château Laroque, propriété familiale bordelaise.


Je suis né d’une famille de vignerons en Charentes-Maritimes, au sein d’une une culture particulière : celle du Cognac. Ma famille était du métier depuis des générations, mais c’est pourtant le vin qui a retenu mon attention. Je me suis passionné très jeune pour la culture viticole et ai suivi des études d’œnologie à Bordeaux. Après une jolie première expérience en Californie, sur les rives de Montebello, j’ai terminé mes études et ai reçu à seulement vingt-deux ans une très belle proposition sur Saint-Emilion : Nicolas Thienpont m’a donné rendez-vous sur un magnifique vignoble et je me suis lancé. Plus de quinze ans plus tard, je continue à travailler avec Nicolas sur deux domaines, mais mon cœur d’activité est le Château Laroque : Xavier Beaumartin m’a proposé en 2014 de prendre la direction d’exploitation de ce domaine familial.


Notre vignoble est une des plus anciennes propriétés de Saint-Emilion et la plus grande. Les archives nous font remonter au XIIème siècle : à l’époque, le domaine était un château médiéval situé sur un plateau en bordure du village, position stratégique de base d’avancée pour protéger Saint-Emilion. La guerre de cent ans a endommagé le château, qui fut partiellement reconstruit pendant les XVII et XVIIIème siècles.


Laroque a participé au développement de la viticulture à Bordeaux pendant son âge d’or, au XIXème. Le domaine était à la pointe, mais le tournant du XXème a été très dur, sans même parler des maladies qui ont frappé toute la viticulture française. La Première Guerre Mondiale et la crise de 29 a achevé de ruiner ses propriétaires. C’est ainsi qu’en 1935, les Beaumartin a acheté le château. Il restait peu de vigne et la bâtisse principale nécessitait de grosses rénovations, mais le domaine était bien doté en bois. Entre 1940 et 1960, cette famille d’exploitants forestiers venus des Landes a replanté tout le vignoble, rénové l’ensemble du bâti, fait connaître la propriété et relancé son activité viticole. Leur attachement évident à la terre leur permet de posséder aujourd’hui 85 magnifiques hectares dont une partie de près et de bois, et 61 hectares de vignes, un paysage d’une variété unique. Amoureux des lieux, ils sont conscients de la situation privilégiée de Laroque qui rend la culture de la vigne aisée.


Nous sommes convaincus, comme beaucoup de vignerons amoureux de leur lieu, que le paysage a un goût et que cultiver cette variété, diversité et richesse du paysage est essentiel.


Cette idée peut sembler farfelue, mais pourtant, un paysage est à la fois un sol, une flore spontanée, un micro-climat et enfin un équilibre vivant dépendant de l’environnement ambiant des vignes. Tout cela influe sur le vin.


Le Merlot est notre cépage roi. Pour nous, le cépage adéquat est celui qui s’efface devant le sol : nous considérons avoir trouvé le bon quand le vin n’en a pas le goût.


Le cépage bien choisi, c’est le témoin transparent, sans filtre, de l’expression du sol.


Idéalement, j’aimerais qu’en goûtant un Laroque, vous ne sachiez pas le reconnaître.

Ici, c’est le royaume du calcaire, signature historique des vins de Saint-Emilion. Ce sol donne des vins brillants, cristallins, d’une grande droiture, avec une forme d’austérité : « protestants » comme diraient certains, dans le sens positif du terme. Ils ont une excellente tenue et une tonalité fraîche. La palette aromatique de nos vins est très vaste. Selon les parcelles argilo-calcaires cultivées, des sols donnent des notes très florales, de pollen et d’agrumes ; sur des sols plus épais, on trouve des notes racinaires avec une notion d’argile, voire de sous-bois, parfois jusqu’à la truffe. Ils ont ont tant de facettes selon l’expression du calcaire que, selon l’âge du vin et son millésime, on peut les accorder avec des mets très variés, de la bisque au homard jusqu’au gibier, en passant par une jolie pièce de bœuf persillée ou de la truffe.

Les Bordeaux ont souvent une image de vins aristocrates, presque snobs, mais Bordeaux n’est pas que cela : elle a une longue culture viticole, « paysanne » au sens noble du terme. Nous sommes des vignerons. Je ne souhaite pas qu’on laisse penser que Bordeaux n’est que paillettes et vins chers : c’est beaucoup plus complexe que cela.


En tant que vignerons, nous voulons simplement faire passer le message de la terre.


Nous n’avons qu’une envie : travailler nos vins et les goûter toute l’année, avec notre amour du sel de la terre, puis partager cela. Comme tout producteur, un fromager par exemple, nous voulons que nos produits soient le fruit d’un travail et d’une culture, la signature d’un lieu.


Nous souhaitons que nos vins soient consommés par tous ceux qui ont le goût des choses, le goût du bon.


Tous ceux qui ont une vie savoureuse nous intéressent. A titre personnel, j’ai une cave très ouverte sur les vins d’ailleurs, peut-être du fait que je ne suis pas né à Bordeaux. Partout où des hommes ou des femmes –et de préférence les deux- cultivent la vigne, cela m’intéresse de connaître leur démarche, pourquoi et comment ils la réalisent. Je suis avant tout un amoureux du produit.

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