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  • Photo du rédacteurOmbeline Choupin

Interview de Guillaume Pouthier, directeur d'exploitation du Château Les Carmes-Haut Brion

Unique vignoble français situé sur la commune de Bordeaux, le Château Les Carmes Haut-Brion a été racheté par Patrice Pichet en 2010. Le Château est connu non seulement pour son vin de l’appellation Pessac-Léognan d’une qualité exceptionnelle, mais aussi pour son chai, désigné par Philippe Starck et inauguré en 2016.

Guillaume Pouthier, directeur du domaine, suit des études en ingénierie agricole à Toulouse, sa ville d’origine. Rapidement, il obtient le poste de direction de la propriété Château Lagarde, un Pessac-Léognan. Jusqu’à fin 2009, il œuvre pour ce château et gère entre-temps d’autres propriétés du groupe CVBG. En 2010, il part dans le Rhône pour Michel Chapoutier, un des leaders de la région. En 2012, Patrice Pichet, qui avait racheté le domaine des Carmes Haut-Brion, lui offre la direction des parties technique et commerciale du domaine.


Nos vins sont clivants, avec une forte typicité, et cela pour plusieurs raisons. Le positionnement de la propriété à l’intérieur même de la ville de Bordeaux lui confère sa qualité unique de « vin urbain ». La dominance du Cabernet Franc sur les deux autres cépages qui le composent, Merlot et Cabernet Sauvignon, est très rare sur la rive gauche. Notre lieu est très adapté au Cabernet Franc car le sol est graveleux sur socle argilo-calcaire : cela permet d’amener à pleine maturité ce cépage capricieux qui peine habituellement à mûrir et à apporter toute sa quintessence aux assemblages. Chez nous, il s’exprime avec des arômes de fleurs (pivoine, iris et violette), ainsi qu’un goût ligneux, avec des notes de rhubarbe et de feuille de tomate. Enfin, méthode complètement atypique pour un Bordeaux, nous vinifions notre vin « dans son jus », à la fois en grappe entière et en infusion.


Très fins, élégants et aromatiques, nos vins peuvent être associés à des mets très divers, autant avec des poissons qu’avec des viandes. Entre un Madiran qui comporte des tanins très structurés, riche, et un Bourgogne qui est généralement très léger, presque aérien, nous sommes dans l’entre-deux, ce qui permet un large panel d’accords.


Nous travaillons en agriculture raisonnée et nos produits sont complètement respectueux de l’environnement. En tant que locataires du lieu, nous souhaitons le laisser en meilleur état que nous l’avons trouvé. Nous n’avons pas une philosophie de certification car aujourd’hui, il existe des incohérences autour de la notion marketing du bio. Nous faisons régulièrement des analyses prouvant que nos vins ne contiennent aucun résidu, mais nous ne voulons pas entrer dans cette « guéguerre » des appellations : nous croyons en un produit authentique, qui se suffit à lui-même au-delà de qualifications cloisonnées. Nous sommes dans cette démarche depuis les années 2000, et elle nous convient parfaitement. Je n’ai rien contre les vins naturels ou sans soufre, mais ce que j’ai envie de goûter, ce sont des vins représentatifs de leur lieu et sans défaut. S’ils sont nature, tant mieux ; respectueux de l’environnement, d’autant plus ; mais je ne suis pas dogmatique.


Je recherche un vin avec beaucoup de personnalité, voilà tout. En fin de compte, le verdict du consommateur se fait dans le verre.


Nous savons que notre produit reste indemne tout au long de son élaboration. L’oxydation est le premier ennemi du vin : nous travaillons le nôtre en réduction, pour qu’il puisse traverser les décennies.


Notre nouveau chai a été construit pour rendre hommage à Bordeaux et à son histoire, à cette ville dont nous sommes la seule propriété vinicole intramuros. Nous nous sommes servis de notre cours d’eau pour y implanter une forme de bateau semi-enterrée entre eau et terre. Son design de coque renversée permet une absence très pratique de poteau de soutien. Sa structure est en clef de voûte, comme une nef, du latin navis, bateau. Sa cave passive est hydriquement thermo-régulée, atteignant naturellement une température optimale pour le vieillissement des vins. Etant situés au confluent de trois communes (Pessac, Mérignan et Bordeaux), nous avons demandé à leurs maires d’être présents à l’inauguration du nouveau chai l’année dernière, et ils ont gentiment accepté.


En-dehors du chai, tous les bâtiments du domaine sont anciens et restaurés. Notre vinification s’est inspirée à la fois du modernisme et d’un savoir-faire très ancien. De plus nous élevons en partie notre vin avec des amphores.


Si notre vin était un animal, il serait un papillon : comme lui, il commence en tant que chenille, puis il fait sa chrysalide -tout un travail de confection- et atteint enfin sa maturité. On passe d’un produit agricole à du vin, comme quand une chenille s’ouvre et devient un papillon. Enfin vient le moment ultime de sa consommation : il est sublimé puis détruit, tout comme l’est ce bel animal.


Le vin représente avant tout le partage : c’est la priorité de la propriété.


Les grands vins se boivent lors de moments uniques, magiques : notre but est que ces moments exceptionnels entre famille ou amis soient sublimés.


Nous ne sommes pas dans une logique de production à grande échelle : ici, nous sortons environ 40 000 bouteilles par an. Comme tout produit agricole, notre vin demande énormément d’énergie à être fabriqué. Nous espérons donc qu’il sera partagé par le plus grand nombre de personnes et qu’il sublimera leurs moments de convivialité.


Nous parlons peu de prix, mais plutôt de moments. Si nous arrivons à faire cela, le vigneron aura rempli tous ses objectifs.

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