Entreprendre : avoir conscience du risque
Il y a trois ans, j’ai décidé d’ouvrir un restaurant à thème à Paris. Entre la levée de fonds, le recrutement, les travaux, l’association et les petits couacs du quotidien, j’en ai vu de toutes les couleurs pendant trois ans, jusqu’à la revente de mon fonds de commerce suite à une sauvegarde judiciaire. J’en suis ressortie avec quelques kilos en moins, beaucoup d’humilité et de caractère en plus et surtout plein de constats sur l’entrepreneuriat. Ce sont ces derniers que je partage ici avec vous, sans tabou et sans filtre !
A cause du biais du survivant, et du fait qu’en France on parle beaucoup des succès mais jamais des échecs (on commence à peine à parler de « rebonds », mais surtout il faut qu’il y ait un gros succès derrière, sinon on ne veut surtout pas parler de vous), on banalise complètement la prise de risque en entrepreneuriat.
« J’ai vécu plus de 18 mois à 75.000€ de découvert, je me faisais harceler par ma banque, j’ai failli aller en prison pour avoir employé des immigrés illégaux pendant note première année d’activité, j’avais 10 procès en cours, MAIS OSEF (on s’en fout, ndlr), le mois d’après je recevais un chèque de 10 millions, j’obtenais l’absolution du Président de la République et la Légion d’Honneur pour mes loyaux services et je partais me la couler douce aux Bahamas. »
Ca, c’est l’histoire qu’on a tous envie d’entendre. C’est tellement jouissif quand un gagnant explique a posteriori les risques énormes qu’il a pris pour sa santé, sa famille, son portefeuille... Le problème, c’est que la réussite d’une boîte, c’est 50% des aventures entrepreneuriales. Et même celles qui tiennent la route sur le long terme peuvent être terriblement néfastes à leurs créateurs.
Quand on démarre, il est donc essentiel de se poser quelques questions.
1. Avoir conscience du risque
Des risques, oui. Mais lesquels ?
En école de commerce, on vous expliquera que l’entrepreneur est protégé quand il choisit une forme juridique de société limitant sa responsabilité à son apport initial. C’est bien joli, mais dans les faits, il suffit souvent de contracter un prêt bancaire professionnel pour être obligé d’apporter une caution personnelle. Par exemple dans le cas de mon restaurant, je risquais de devoir rembourser par tous moyens une somme… très significative (de plusieurs dizaines de milliers d’euros) dans le cas où ça ne tournerait pas.
Au-delà du risque financier, qui peut vous condamner, en cas d’échec, à manger des pâtes et à vivre dans un taudis pour le restant de vos jours, il existe de nombreux risques humains dont il faut avoir conscience. Créer son entreprise, ça peut avoir des conséquences sur votre santé physique et mentale, sur votre vie de couple, sur votre famille et sur vos amitiés.
Côté santé, j’ai croisé plusieurs entrepreneurs qui avaient complètement mis leur corps de côté, comme à l’occasion d’une fête, l’année dernière. Quand je sortais, c’était toujours très tard à cause des horaires du restaurant et un de ces matins-là, on a fini avec toute une bande vers 7h du matin par s’endormir sur les canapés d’une copine. Elle avait invité un de ses amis restaurateurs : à 25 ans, il avait ouvert un restaurant gastronomique qui cartonnait. Enthousiaste, avenant, très pro : on sentait qu’il était passionné par son travail. Il tenait le restaurant avec son unique associé : lui à la cuisine, l’autre au service.
A 10h du matin, un réveil a sonné. C’était celui du chef cuisinier, qui repartait pour une journée complète de service, comme c’est le cas en restauration, 6 jours sur 7, 360 jours par an. Il s’est levé tranquillement, a pris un café et, avant de partir, s’est fait une énorme trace de cocaïne sur la table. « C’est reparti pour une journée, à plus les gars ! », a-t-il conclu en passant la porte. Il faisait ça tous les jours. Depuis 3 ans.
Je ne sais pas si son succès en valait la peine, mais en tous cas ce jour-là cette personne m’a fait me rendre compte que parfois, il faut savoir se protéger.
Comment évalue-t-on ces risques ?
Avant de vous lancer dans une aventure, il est essentiel d’évaluer tous ces risques et d’avoir conscience qu’ils existent, pour entrer dans le bain en pleine connaissance de cause. Imaginez le PIRE scenario possible et demandez-vous, en toute sincérité, si vous pourrez vous en relever.
Posez-vous ces questions :
- Quel est mon risque financier maximal et pourrais-je l’éponger sans me retrouver à la rue ?
- Suis-je prêt(e) à risquer de perdre mon compagnon ou à faire subir à ma famille des moments difficiles ?
- Mes amis seront-ils assez compréhensifs pour me soutenir, même quand je ne les aurai pas vus depuis des mois ?
- Suis-je prêt(e) à sacrifier mes week-ends et vacances pendant des mois, voire des années ?
Une fois que vous aurez répondu à ces questions, demandez-vous aussi ce sur quoi vous refusez de faire des concessions. Par exemple, je connais un entrepreneur qui a monté plusieurs clubs de sport et refusait catégoriquement de donner une caution personnelle de peur des répercussions financières pour sa famille. Il a réussi à développer sur fonds propres, ce qui a pris beaucoup plus de temps que s’il avait emprunté, mais il n’a jamais cédé sur ce point ; et il a réussi.
En ce qui me concerne, j’ai sacrifié énormément de choses pendant 3 ans, notamment mes week-ends et mes vacances, mais j’ai toujours été intransigeante sur le sport. Même dans les pires moments, j’allais au sport au moins deux fois par semaine, et cela m’a aidé à passer le cap.
Concernant les aspects financiers, j’ai risqué gros. Mais j’y avais pensé et m’étais dit qu’au PIRE du PIRE, je prendrais un boulot que je détesterais et que je trimerais pendant 15 ans pour rembourser le montant de mon emprunt. J’aurais détesté mais j’aurais survécu.
2. Quelques solutions pour se protéger au maximum
En passant dans un couloir du métro parisien, j’ai beaucoup apprécié le nouveau slogan de la BPI (Banque Publique d’Investissements) : « Entrepreneurs, lâchez-vous, on ne vous lâchera pas. », Ca fait très bisounours, mais il est vrai qu’en France, il existe plein de solutions pour se protéger quand on entreprend !
Bien choisir la forme de sa société
Je ne m’étendrai pas là-dessus car des milliers de choses ont déjà été écrites à ce sujet, mais évidemment, choisissez une société à responsabilité limitée aux apports.
Sur la forme de la société, la plus adaptable est la SAS, mais, pour son pacte d’associés, il faut absolument être accompagné par un avocat quand on en rédige les statuts.
Se couvrir contre le risque de chômage
Notez bien qu’en France, si vous êtes président de votre entreprise, même en étant assimilé salarié (dans une SAS par exemple), vous n’aurez droit à aucune allocation chômage. Il faut souscrire personnellement à une « assurance perte d’emploi pour dirigeant d’entreprise ». A l’époque, cela m’aurait été bien utile si j’en avais eu conscience : devoir se remettre à travailler immédiatement après avoir vécu un échec n’est pas forcément évident.
Les organismes de cautionnement
Dans le cas où vous auriez dû engager votre caution personnelle, il existe des organismes de cautionnement, comme BPI, par exemple. En fonction des secteurs, ils pourront garantir 100% du prêt ou moins (en restauration, jamais plus de 50%). Assurez-vous lorsque vous négociez un prêt bancaire professionnel de faire garantir ce prêt au taux maximum possible. Attention, cela a un coût (un pourcentage du montant cautionné) qu’il faut régler en intégralité à l’obtention du prêt, mais cela fait aussi partie des postes de dépense sur lesquels vous ne pouvez pas vous permettre de lésiner.
L’organisme de cautionnement étudiera votre business plan pour prendre sa décision, comme la banque. Certaines banques s’épargnent même le travail d’analyse des business plans en ne finançant que les prêts approuvés par les organismes de cautionnement (ils sont malins car cela leur épargne beaucoup de temps !).
3. Le plus gros risque serait de ne pas se lancer
Soyez certain d’une chose : les étoiles ne seront jamais complètement alignées. Aucun projet entrepreneurial ne réunit l’intégralité des conditions nécessaires à sa réussite sur le papier, et même si c’était le cas, la vérité est toujours si éloignée de la théorie que vous trouveriez toujours une raison pour ne pas y aller.
Mon point de vue a toujours été le suivant : le plus gros risque, c’est de ne pas se lancer et de passer toute sa vie à se demander ce qu’il se serait passé, si on avait osé.
C’est pour cela que j’ai décidé de monter mon restaurant directement en sortant d’école. J’étais jeune et inexpérimentée, je n’avais pas d’économies à mettre sur la table et un réseau professionnel réduit, mais je l’ai fait parce que je savais pertinemment que si je commençais à faire autre chose, j’aurais une vie beaucoup trop confortable pour m’en extraire. Si je commençais à gagner un salaire supérieur à mon budget d’étudiant, jamais je n’aurais envie d’y renoncer. Si j’entamais une vie de couple heureuse et posée, jamais je n’aurais envie de la chambouler.
L’idéal est évidemment de se lancer après plusieurs années d’expérience, mais j’ai souvent constaté que plus on vieillit, moins on ose le faire.
Mon moto pendant Rainettes, aux moments les plus difficiles, était : « Au pire, ce n’est que de l’argent ». Personne n’était gravement malade dans mon entourage, les gens que j’aimais me soutenaient. Et surtout, j’avais la chance d’être en train de vivre une aventure entrepreneuriale extraordinaire. Aujourd’hui, compte-tenu de ce que j’ai appris, je suis extrêmement reconnaissante de cette expérience. Tout me semble plus simple ; j’éprouve un immense plaisir à réaliser des activités banales que je prenais auparavant pour acquises. Je me sens plus mature, plus humble et prête à aller de l’avant.
Comme disent Bigflo & Oli : « Mieux vaut vivre avec des remords qu’avec des regrets, c’est ça le secret ».
Donc allez-y !
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